Nous sommes au début des années '90, lors du deuxième référendum de la mairesse Boucher portant sur l'érection d'un nouvel hôtel de ville à Sainte-Foy, le premier ayant été défavorable au projet de madame Boucher quelques années plus tôt.
À l'époque, j'habitais dans la région de Québec et j'étudiais en communication, option journalisme, à l'Université Laval. Mon collègue de classe André Lacasse et moi avions un reportage à faire sur un sujet d'actualité et nous avions choisi le référendum de Sainte-Foy comme sujet.
Le jour J, nous nous installons dans le stationnement de l'hôtel de ville en vue de faire notre reportage, afin de filmer, en arrière-plan, les gens qui se sont déplacés pour aller voter. De plus, nous souhaitons avoir la chance de rencontrer la mairesse Boucher afin de récolter ses commentaires. Dès le départ, nous avons des difficultés avec notre caméra-vidéo. Nous tentons tant bien que mal de régler notre problème de caméra. Comme nous sommes en plein hiver et que ce dimanche est plutôt frisquet, nous nous assoyons dans la voiture afin de faire les ajustements nécessaires à la caméra et quelques tests avant le tournage.
Soudainement, notre voiture est encerclée par six véhicules de police. Un policier se dirige vers nous et nous demande de sortir calmement et doucement de la voiture. André et moi sommes abasourdis par la situation et on ne comprend absolument rien de ce qui se passe...
Un policier s'adresse à nous et nous demande de lui remettre notre caméra-vidéo, ce que nous faisons sans hésiter. Puis, j'ose demander : "Peut-on savoir ce qui se passe ?" Le policier nous dit qu'il a reçu une plainte comme quoi nous filmions les gens, à leur insu, alors que nous étions cachés dans notre voiture. Nous expliquons aux douze policiers présents que nous sommes des étudiants et que nous faisons un reportage dans le cadre d'un cours et que nous avons un problème de caméra. Il n'en fallu pas plus pour que la mairesse Boucher apparaisse devant nous, escortée de deux policiers, ce qui fait un nombre de quatorze policiers juste pour nous, deux ti-clins universitaires sans malice... Je n'ose pas imaginer le déploiement si on avait été des terroristes...
La mairesse Boucher ne tarde pas à nous insulter et à nous traiter de "maudits journalistes, hypocrites et fauteurs de troubles." Nous tentons de lui expliquer que nous sommes des étudiants, mais à chaque fois que nous nous adressons à elle, elle tourne la tête pour nous ignorer, en nous traitant de menteurs quand bon lui semble.
Après cinq minutes à se faire injurier et à tenter de se justifier, elle nous dit sèchement : "Vous êtes chez moi ici, je ne veux plus jamais vous revoir sur les terrains de l'hôtel de ville." S'il y a un endroit qui est de nature publique, c'est bien l'hôtel de ville... Elle nous tourne le dos. La Reine de Sainte-Foy retourna dans ses palais, vaquer à ses occupations royales et référendaires...
De notre côté, l'histoire ne se termine pas là. On nous amène au poste de police et on nous retient pendant près de deux heures, le temps de visionner le contenu de notre bande vidéo, qui contient environ 15 minutes de temps de tournage, et probablement dans le but de nous faire vivre à fond notre rôle de faux fauteurs de troubles... La police confisqua finalement la caméra durant vingt-quatre heures. On nous a remis la caméra-vidéo dès le lendemain en nous disant que tout était beau et de ne pas s'en faire. Tout le contenu de la bande avait été effacé, simplement par précaution nous a-t-on dit. Aurions-nous un casier judiciaire ou une interdiction de quitter le pays pour le reste de nos jours ? Heureusement non !
Le week-end suivant, audacieux que nous étions, nous sommes retournés à l'hôtel de ville de Sainte-Foy pour faire notre reportage. Le seul hic : un grand stationnement vide, sans citoyens, sans mairesse et sans référendum... Un dimanche plutôt tranquille mais aussi frisquet que le précédent. Nous avons fait notre reportage sur Sainte-Foy qui aurait finalement son nouvel hôtel de ville, sans oublier de faire référence à notre aventure.
Ce reportage nous a valu la note de 100 %, accompagné d'un mot de notre professeur qui est encore frais dans ma mémoire, vingt ans plus tard : "Félicitations, vous êtes allés au bout de votre projet malgré les embûches. Bienvenue dans le merveilleux monde du journalisme !"
Andrée P. Boucher est décédée le 24 août 2007 d'un arrêt cardiaque, à l'âge de 70 ans, alors qu'elle était mairesse de la ville de Québec. Elle a été mairesse de l'ancienne ville de Sainte-Foy de 1985 à 2001 et mairesse de la ville de Québec du 19 novembre 2005 jusqu'à son décès. Elle aura été la première femme chef d'un parti municipal au Québec. Bien qu'elle était une femme très colorée et controversée, elle aura été appréciée pour ses qualités de grande gestionnaire.
Madame Boucher, j'espère bien que nous aurons l'occasion, un jour, quelque part en haut, de rejaser de tout ça et cette fois-ci, s'il-vous-plaît, j'espère que vous me laisserez la chance de m'expliquer...
Sans rancune...

Andrée P. Boucher