dimanche 10 janvier 2010

Au diable la pudeur

Que faisiez-vous le 26 mai 2001 ? Moi je me rappelle très bien du commencement de cette journée marquante pour moi : j'étais à poil sur la rue Ste-Catherine ! Non, non, je ne cherchais pas à me faire arrêter pour grossière indécence... En fait, j'étais parmi les 2 300 participants qui ont posé nus pour l'art de Spencer Tunick.

Spencer Tunick, né en 1967 à Middletown dans l'État de New York, est un photographe américain. Il est connu pour ses compositions photographiques à travers le monde entier où figurent des centaines de volontaires, hommes et femmes, posant nus, la plupart du temps dans des décors urbains.

Ce matin-là, le temps était frisquet et il pleuvassait. Nous devions arriver à Place des Arts durant la nuit afin de nous inscrire. Je devais être accompagné d'un ami, mais il m'a fait faux bond à la dernière minute. Tant pis, j'y vais quand-même. À reculons, mais j'y vais.

À cette période de ma vie, je suis davantage complexé par mon corps, principalement par mon surplus de poids. En fait, ce n'est pas moi qui ai un problème avec mon poids, c'est plutôt ce que les gens pourraient avoir comme opinion de moi, le jugement des autres. D'ailleurs, jusqu'à la dernière minute, je me suis demandé si j'aurais le guts de le faire. D'un autre côté, j'étais bien conscient que cette opportunité ne se présenterait qu'une fois dans ma vie...

5 h du matin : on nous explique le déroulement et on nous donne les instructions à suivre. Puis c'est le coup d'envoi : TOUT L'MONDE TOUT NU ! Dans un moment d'hésitation, je regarde autour de moi afin de voir si mes voisines et voisins s'exécutent. Je ne veux pas être l'un des seuls bozos à se retrouver à poil sur Ste-Catherine. Tout le monde se déshabille sauf quelques dizaines de personnes qui sont repoussées par des surveillants. Me voilà tout nu, dehors, en pleine rue. Ce moment demeure incroyable. C'est presqu'un rêve éveillé. Se retrouver au beau milieu de 2 300 personnes nues, marchant en pleine rue. Toutes les barrières tombent. Il n'y a plus de gêne, plus de pudeur et aucun geste ou regard déplacé. Pour un instant, il n'y a plus de différences. Blancs et noirs, minces et gros, jeunes et vieux, beaux et laids, hommes et femmes, adultes et enfants, riches et pauvres : tout le monde marche dans le même sens, sans jugement, tous unis pour l'art. D'ailleurs, Spencer Tunick a mentionné que Montréal était la seule ville à cette époque qui l'avait accueilli ouvertement, il a remercié la collaboration des autorités et de la police et il a fièrement précisé que les Montréalais étaient ceux qui avaient répondu en plus grand nombre à son invitation.

En tout, trois photos furent prises et le tout dura près de 30 minutes. Chaque personne présente ce jour-là a vécu quelque chose d'intense et unique. De mon côté, je ressens une grande fierté d'avoir relevé ce défi personnel qui n'a eu que des effets bénéfiques sur ma confiance en moi et sur ma vision des autres et leurs différences... D'ailleurs après cette expérience, des dizaines de personnes m'ont mentionné qu'elles auraient aimé prendre part à l'événement, mais qu'elles ont manqué de courage. Moi j'ai osé.

Suite à tout ça, je n'ai qu'un seul regret... Après la prise des photos, comme plusieurs, je suis allé serrer la pince de Spencer Tunick afin de le féliciter. Après ses séances collectives, il repère généralement quelques sujets pour des photos individuelles. Sans que je ne le vois venir, il me propose de poser pour lui. Stupéfait, je prends cinq secondes pour réfléchir et je lui réponds dans un anglais impeccable : "No, sorry, I'm very chicken... Thank you" ! En plus de me ridiculiser, je viens de me rappeler que mon exhibitionnisme a des limites... Aujourd'hui, s'il me le demandait à nouveau, je n'hésiterais pas une seconde à répondre : "Yes, I'm not chicken", au nom de l'art !

L'une de ces photos réalisées par Spencer Tunick à laquelle j'ai participé est encadrée chez moi. Si vous souhaitez la voir, je vous ferai descendre au sous-sol. Ma blonde ne veux pas qu'elle ait une place de choix dans notre salon. Dommage...


Photo prise par Spencer Tunick, Montréal, 26 mai 2001


Spencer Tunick

1 commentaire:

  1. J'ignore comment vous avez fait pour trouver le courage nécessaire mais ça prend des "couilles" en acier pour se mettre à poil et en public. Je me demande d'ailleurs ce qui pousse les gens à se dénuder au nom de l'art... Moi je n'ose même pas me promener en sandales l'été pour éviter que l'on remarque mes pieds.

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